Je voudrais vous narrer un joli conte de notre temps.

            Il était une fois, un pantin qui, de la manière la plus surprenante était entré dans ma vie. Une petite marionnette aussi dérangeante que Pinocchio le fut pour Gepetto.

J’ai maintenant l’impression qu’il a toujours été en moi et avec moi, mais il faut le reconnaître il y a bien eu au départ, non pas une démarche d’adoption mais une transaction financière ; oui, je l’ai acheté.

            Pour tout vous dire, je voulais peindre ; non pas dessiner, je ne sais pas et je n’aime pas ça, mais j’avais, j’ai une grande admiration pour les peintres, une grande envie il faut le dire, à leur égard. Mon petit bonhomme m’a aidée à dépasser mes atermoiements.

            J’aime beaucoup les peintres hollandais et j’ai passé mille heures à essayer de faire mon premier carrelage, j’adore les rideaux, les tissus, les nuages, toutes choses belles faciles sinon à faire du moins à évoquer et enfin j’ai placé au beau milieu ma petite marionnette ; vous voyez, Jacques est l’être qui m’est le plus cher au monde, mais je ne saurais pas le dessiner.

             Donc, le petit bonhomme, par définition devait se diriger vers le trou dans le carrelage ; ce trou je l’avais fait assez grand d’abord pour, me semblait-il être en accord avec les proportions générales et aussi par cynisme ; eh oui ! nous ne sommes que des pantins sur cette terre et ça se termine par la mort. Et puis tout ceci me paraissait tellement convenu que j’ai considérablement réduit le trou. J’ai emprunté à un de mes tissus d’ameublement, une tête d’ange qui soufflait le vent. Le titre s’est imposé à moi, je nommai le tableautin: « All the world’s a stage ».

 

                                   

 


            Ensuite, honneur suprême, Jacques m’a demandé de lui faire un tableau. Je pensai aussitôt livres, divan, intello. Mon petit bonhomme était là prêt à m’offrir ses services. Je le juchai sur quelques livres, dans une attitude pensive et réfléchie, je le reportai, Dieu sait pourquoi, en effigie dans un arbre, sur une page ; j’ajoutai un paravent parce que j’en ai fait un chez moi que j’aime beaucoup. Ce tableau devint « Le Penseur » en demandant pardon à Rodin.

 

                                   

 

            Et puis, j’ai fait des infidélités à mon petit pantin ; il me reprocha de l’avoir traité en valet ; il garde pourtant toute mon affection.

            En fait une statue dans l’atelier où je m’exerçais de façon hebdomadaire, attira mon attention. Quelqu’un avait oublié sous son  bras un bouquet rabougri d’hortensias fanés. Je trouvai l’ensemble à mon goût et cela devint « L’Adam aux hortensias » ; attention : ne pas omettre la liaison ; Jacques et moi y tenons beaucoup ; Jacques aime les jeux de mots.

 

                                               

 

 

            Et puis, j’ai essayé le couteau et j’ai fait « Paysage d’ocre », sans intention préalable ; des formes indéterminées surgirent dans un paysage de sable, l’ensemble évoquant une ambiance biblique.

 

                                   

 

            Avec en tête des envies de cubisme sans en connaître les secrets, je peignis « la forêt d’Elincourt » et « Fleurs Bleues ».

 

                    

 

            Un autre jour, évitant toujours soigneusement les personnages et la difficulté, j’étalai largement sur la toile des bleus, des jaunes, des rouges claquants, et puis comme j’aime bien le mélange des genres, j’ajoutai une petite fenêtre qui ouvrait sur le dehors, et ce fut « Paysage intérieur ».

                                               

 

            Après cela, je me suis enhardie, en copiant Matisse, en hommage à Matisse, à faire évoluer sur ma toile des êtres qui ressemblaient plus à des humains que mon petit pantin. C’était un émerveillement d’avoir réussi ce tour de force. J’ajoutai tout de même ma touche personnelle en dissimulant partiellement ma danse par quelques vagues rideaux.

            Je ne sais plus quand ni pourquoi j’ai fait une deuxième danse (Matisse 2), qui ne me plaisait qu’à moitié et que je reléguai aux oubliettes.

 

 

                                              

 

            Et pourtant, c’est ce dernier, Matisse 2 qui, un jour, sorti de sa réserve, se mit à parler et à faire parler tous les autres tableaux sur les murs. Il se passa que je l’installai  sur un mur perpendiculaire à « All the World’s » et les deux tableaux s’examinèrent avec suspicion, puis intérêt et me soufflèrent : »Regarde-nous, je suis le commencement, il est la fin ! » « Regarde, il est la naissance de l’homme, je suis son aboutissement ! » Mon petit pantin n’était pas rancunier et il se mit à parler de façon volubile. « Regarde, me disait-il, je n’étais qu’une marionnette et vois ce que je suis devenu ! » J’ai reçu le souffle de vie et tu pensais que j’allais à la mort mais toi-même n’y croyais pas ; tu vois bien le petit rai de lumière derrière moi dans le drapé violet, que je ne voyais pas, mais qui laissait présager un mystère et un espoir ! »

            « Dieu sait si j’ai passé du temps à penser et à me chercher dans les livres, dans la nature, dans les écrits sacrés qui montaient vers le ciel ! »

            « Depuis que je suis sur les murs à m’ennuyer, j’ai rendu visite à ton homme bleu, je me suis reconnu ; c’est moi aussi , la statue qui s’humanise, qui contemple un monde coloré, qui avance dans la connaissance tandis qu’une lumière douce et diffuse irradie, à son insu. »

            « Ensuite regarde Matisse 1 avec les voiles qui masquent à demi un monde optimiste, révélé dans Matisse 2, où le rideau se lève sur la scène d’une terre joyeuse ; il s’agit du Nouveau Monde, où les hommes sont heureux, où il n’y a plus de différences de couleurs, ni aucune sorte de discriminations. »                                                                                                             Ce monde, c’est celui qui est rêve dans nos prisons, concrètes ou mentales, rêve d’un Eden, rêve qui aide à vivre.A déguster en écoutant la symphonie du Nouveau Monde. Le petit pantin ne peut mentir, lui l’homme parvenu à maturité qui est maintenant capable de s’émouvoir, de réfléchir, de me dire « non, je ne suis pas jaloux ; tu as bien fait de me laisser de côté et d’explorer d’autres pistes, de faire selon ton cœur, sinon, je n’aurais pas existé pleinement, parce que dans toutes tes représentations c’est de moi qu’il s’agit, de moi l’homme, de moi l’humanité. »

 

            Je ne vous ai pas tout dit. Il est un tableau qui n’est jamais sorti du fouillis de ma pièce à bricoler et que je n’exhume aujourd’hui que pour vous, tant il est lié à de mauvais souvenirs ; son exécution s’est révélée être un cauchemar. Il représente une arche avec un arbre derrière et un paysage en arrière plan. J’avais tout d’abord peint un ciel rouge orangé et une ritournelle me trottait dans la tête qui parlait « d’une lumière blonde ». Je décidai de changer les couleurs et pendant tout le temps de la retouche, j’éprouvai des sensations bizarres ; des présences invisibles qui de toute évidence, effrayaient le chien qui gémissait, déclenchèrent à maintes reprises les alarmes des voitures stationnées au-dehors et j’en étais restée pétrifiée.

 

                                   

 

             J’avais aussi représenté des arbres dans le coin gauche, parce qu’il manquait, me semblait-il, quelque chose et  l’on aurait dit des déportés qui s’en allaient valise à la main vers un au-delà peu prometteur. Je pense que l’arbre représente le Satan et la mort, c’est tout ce que je peux dire. J’ai appelé le tableau « Le repentir du peintre », à cause des retouches, et aussi pour les erreurs passées.

            La mort, je l’ai représentée dans ‘l’arbre mort », « l’usine désaffectée » et ces tableaux sont pour moi de la même teneur que « la porte du parc », ce sont l’endroit et le revers de la même médaille. Les deux premiers ne sont pas tristes, le dernier est carrément joyeux, invitation à pénétrer dans la forêt qui conduit à l’Eden.

 

                                  

                                   

 

            Ceci, comme je viens de le dire, ne m’empêchait pas jusque là d’avoir une terreur indicible de Satan, de la Bête de l’Apocalypse, des fantômes et des esprits, des vampires et de l’horreur ; puis après un long travail d’accouchement, j’ai compris que c’était mon petit homme la bête et moi donc, et nous tous : nous sommes bêtes à tous les sens du terme, et nous devrons sortir de cet état pour participer à la danse du Nouveau Monde. Nous ne serons plus ni crapauds ni monstres, mais  deviendrons des princes et princesses car nous sommes tous fils et filles de Roi. L’Apocalypse m’apparut comme un conte pour enfant, comme la Belle et la Bête, Peau d’Ane et toutes les histoires merveilleuses et effrayantes qui ont marqué notre enfance, inventées par notre Père à tous, pour nous faire peur ou nous amuser et nous éduquer. Toutes nous disaient que l’amour était ce qui permettait de triompher de la Bête. Si nous parvenons à faire fleurir cette part divine qui est en nous, nous pourrons quitter nos masques de tristesse, porteurs de mort, nos cheveux blancs et nos traits vieillis et afficher notre beauté au grand jour.

             Au commencement était le péché disait l’ABC de notre ami Dominique mais il allait disparaître, comme Satan que j’avais pu enfin reléguer au rang des jouets et des peluches.

 

 

                                

 

 

On n’en avait plus besoin dans le Nouveau Monde. Le Malin avec son cortège de misères a assez vécu. Nous n’en voulons plus. Au fait est-ce nous qui n’en voulons plus ou Dieu qui a jugé que nous devenions suffisamment grands pour nous en passer et nous fait aspirer à autre chose ? Le petit homme n’était qu’une marionnette, un robot, à qui l’on enseignait le monde. Est-ce si impensable que cela de faire une telle supposition ? Les scientifiques se posent la question du libre arbitre (New Scientist 24/11/07) : des expériences ont montré que le cerveau aurait déjà anticipé la réalisation d’un acte avant qu’il ait été formulé par la conscience et « si l’on pense qu’on a le libre arbitre on ferait bien d’y réfléchir à deux fois ».Par ailleurs (NS 1/12/07) certains experts vont jusqu’à affirmer que le subconscient est responsable pour une vaste majorité de nos activités quotidiennes et que « nous ne sommes rien de plus que des zombies guidés par lui ».  En fait on pourrait imaginer que nous avons tous un rôle à jouer, que nous sommes programmés pour ce rôle, comme les robots intelligents que nous savons maintenant construire.

            All the World’s a stage : chacune de nos vies est une pièce qui s’inscrit dans l’extraordinaire et gigantesque histoire de l’humanité. La sortie de scène de Lady Di, la fin de mandat caricaturale de l’homme le plus puissant de la planète, n’avaient-ils pas comme tant d’autres événements des résonances théâtrales ?

            Par ailleurs, si nous sommes de simples zombies, quelle est notre part de responsabilité dans nos actes ? Aucune, et pourtant la loi qui a été révélée au monde nous a signifié de ne pas tuer ; suivit le message d’amour qui nous enjoint de nous aimer les uns les autres. Nous ne faisons peut-être que jouer une partition pré-écrite mais nous devons maintenant, puisque nous avons tout de même l’illusion de choisir, abandonner ce qui est mal. Nous devons réparer. Ceux qui ont le mauvais rôle auront à cœur, j’en suis sûre, de  l’infléchir, de changer le script et de refuser la sauvagerie, la brutalité, l’argent maître et la corruption, la trahison, l’horreur , la noirceur, la tromperie et la mort.

            Tous ces attributs de Satan ont été créés pour que, en connaissant le mal nous puissions choisir le bien, aux ténèbres préférer la lumière, à la mort, la vie, l’amour, la bonté, la joie de vivre, l’humour, la beauté et tout ce qui ravit l’âme.

            Il faut que cessent les conflits – ne pas faire aux autres ce qu’on n’aimerait pas qu’ils nous fassent – l’exploitation, l’enrichissement honteux, la pauvreté et puis nous pourrons jeter les masques, quitter nos déguisements et sortir de scène la tête haute.

            Nous n’avons pas de raisons de nous quereller mais au contraire toutes raisons de nous unir contre cet ennemi commun : le mal qui ronge notre chère terre ; des sommités religieuses chrétiennes, juives, musulmanes, hindoues et bouddhistes se sont réunies sur un bateau dans l’Arctique pour faire une prière silencieuse pour la planète et ont proclamé qu’il était urgent de se préoccuper des ressources en eau et du changement climatique. Et, pour ma part, jusqu’alors agnostique, je me joins à leur prière. Et l’intérêt que me porte Dieu maintenant – je vois en effet des signes de sa présence partout – me fait dire qu’il ne rejette personne. Athées, fidèles et infidèles sommes tous ses enfants et partant nous sommes tous frères et sœurs et devons nous aimer.

 

                                               

 

 

            Je regarde le tableau de Dominique « Ay, la chambre secrète » et la panthère devant comme la Bête qui garde jalousement le secret de la vie. Puis, je regarde Paysage Intérieur et j’y vois, dans la petite ouverture ce qui pourrait être un désir de liberté et de paradis. Je reçois un calendrier avec des pays de rêve. Nous allons écouter au Théâtre des Champs-Élysées Le Paradis et la Péri de Schumann, tout à fait par hasard. Je ne connais pas cette œuvre, n’en ai jamais entendu parler mais notre amie Nancy qui est violoniste joue ce soir là et nous la rencontrons à cette occasion. Elle me fait un très beau cadeau : une image sublime d’un ange héraut, porteur de bonne nouvelle. Peut-être suis-je un ange déchu qui comme la Péri essaie dans la souffrance de regagner le Paradis perdu. De nouveau le lendemain, je retrouve enfouie sous des papiers une carte de Clo évoquant les Enfants du Paradis de Marcel Carné. A la radio, « nous irons tous au paradis ». Cette avalanche de signes me fait croire en un avenir radieux où il n’y aurait plus des bons et des méchants, des plus ou moins bons et plus ou moins méchants mais des êtres intelligents et sensibles, guéris du péché et de la culpabilité, délivrés des déterminismes qui nous empêtrent, prêts pour de nouvelles histoires sans larmes, celles-là et épris d’amour : ne sommes nous pas tous un peu fleurs bleues ?

            Mon ami Paul m’a submergée d’informations sur les OVNIs, sur les nombreux témoignages qui ont été censurés les concernant. Alors, peut-être y a-t-il là une autre piste à explorer, un autre conte à écrire, un autre rêve d’ailleurs…..

 

 

Anneveni 24/12/07